Le Centre de rééducation sensitive du corps humain a 21 ans Communication : entre conversation et connexion

Claude SPICHER[1], Camille BOURGAULT[2] & Murielle MACCHI[3]

 

Le 1er juillet 2004, le Centre de rééducation sensitive du corps humain a été co-fondé dans une clinique fribourgeoise (Suisse – Europe) appelée désormais ‘Clinique Générale’.

21 ans plus tard, nous pourrions être tenté·es de réduire cette aventure inimaginable et inachevée à quelques chiffres :

  • 140'000 articles téléchargés sur researchgate.net et academia.edu ;

  • 4362 patient·es accueilli·es et la découverte de leurs 7127 lésions axonales Aβ de 240 branches de nerfs cutanés – qui non seulement expliquent l’inexplicable, mais permettent de nommer les symptômes de syndrome, offrant l’espoir de diminuer les affres des douleurs les plus complexes.

 

La liste pourrait s’allonger :

  • 1560 médecins, thérapeutes et chirugien·nes de 46 pays – des cinq continents – formé·es à la méthode de Rééducation Sensitive de la Douleur (RSD) lors de 150 cours ;

  • 193 licences décernées de Rééducateur·es Sensitif·ves de la Douleur Certifié·es (RSDC® ~ CSTP® ~ zert. SST) depuis 2012.

Mais :

« Lorsqu’un projet (qu’il soit la construction d’une maison ou la fabricati0n d’un soulier) se réalise, une sorte de précipité chimique a lieu qui le coagule. Ce qui était jusqu’alors dans l’esprit d’un ou de plusieurs devient tangible, visible à tous. Or, et c’est ce qui rend si difficile l’apprentissage du Réel (…), dès que le projet est matérialisé, la vision qui l’a précédé est oubliée. Ne reste que la matière. » (Singer, 2005)

~ ~ ~

« Le Réel est le nom que je donne à la réalité agrandie puisque ce mot que traduit en allemand Wirklichkeit, par opposition à Realität, manque en français. Le Réel est donc cette part fluide de la réalité, ce permanent devenir, cette permanente métamorphose composée des potentiels en attentes, des projets, des visions : l’esprit agissant. » (Singer, 2005)

Le 6 février 2002, alors que Claude Spicher était invité à intervenir au département de pharmacologie clinique et de la douleur des Hôpitaux Universitaires de Genève (Suisse - Europe), le président du Collège des médecins, convié à cette occasion, lui posa la question suivante : « Ce traitement ne se pratique-t-il qu’à Fribourg ? », en toute honnêté - et la mort dans l’âme -, Claude Spicher dut répondre : « oui, seulement à Fribourg. »

Le 30 juin 2025, à cette question nous répondrions désormais que la méthode de RSD est intercontinentale, interdisciplinaire et intergénérationnelle. Nonobstant, une question légitime demeure : « Comment savoir où se trouvent ces mytérieux·ses RSDC® ~ CSTP® ~ zert. SST ?

 

De prime abord, la réponse serait sur la ‘carte neuropain’.

~ ~ ~

 

« Offrons-nous ce silence. » (Singer, 1996)

 

~ ~ ~

Ce serait sans compter l’humilité de chacun·e qui, bien qu’expert·e, ne s’autorise pas à le faire savoir au monde entier. C’est peut-être le reflet d’une tâche hardie : celle de remettre en question des paradigmes profondément ancrés. Cela demande du temps, de la ténacité et implique parfois de faire le choix de la discrétion plutôt que celui de l’exposition. Dans un environnement où l’on valorise la stabilité de ce qui est reconnu, il faut du courage pour continuer à défendre ce qui dérange les habitudes. Par ailleurs, limiter les expert·es en rééducation sensitive de la douleur à l’espace de la ‘carte neuropain’ serait également ignorer l’esprit du temps qui privilégie le label ‘corporate’ et préfère mettre en avant les recommandations usuelles – orthodoxes et non pas paradoxales – que celles pourtant reconnues par les comités scientifiques des prestigieux Congrès internationaux e.g. The International Federation of the Societies for Hand Therapy et étayées par des Practice-based evidence robustes ; notre méthode est enseignée dans d’innombrables Facultés de médecine et des sciences de la santé e.g. McGill University (Canada), UNICENTRO (Brasil ), Université de Montréal, etc. par des PhD anciennement clinicien·nes CSTP® ne figurant plus forcément, aujourd’hui, sur cette ‘carte neuropain’. En 2025, la méthode de RSD est devenue orthodoxe, soutenue par un niveau 2b d’évidence fondée sur des données probantes :

« En disant que la terre est ronde, alors qu’on voit bien qu’elle est plate, on se met à la place d’un déviant, un anormal presque. Quand cette déduction s’oppose aux Écritures, l’affirmation est blasphématoire. Celui qui pense ainsi mérite le bûcher. » (Cyrulnik, 2016)

 

En explorant un peu notre ejournal, vous découvririez la série décoiffante de 17 chapitres issus des actes du congrès : Expériences en ergothérapie, de la 17e à la 34e série publiée par Sauramps Médical sous la direction de Madame Marie-Hélène IZARD. Année après année, des expert·es ont écrit et communiqué à la Grande-Motte (France – Europe) lors de ce congrès francophone incontournable. Vous y découvririez des noms de personnes retournées dans la pénombre sans pour autant avoir perdu la maîtrise de leurs compétences. Leurs raisons n’ont pas forcément à être divulguées sur la place publique. Certainn·es poursuivent encore, fort heureusement, une activité clinique, d’autres ont intégré le Comité de re-lecture du Département de la méthode, d’autres encore assurent des suppléances au Centre de rééducation sensitive du corps humain. Sans préjuger des fruits de la lecture, la liste des adhérent·es à cette méthode de RSD pourrait encore s’allonger.

 

Tout devient alors une question d’implication sans distraction dans un monde saturé par le flux continu d’informations (Le Breton, 2024). Faire défiler avec son pouce des vidéos, est-ce encore communiquer ? Et lever son pouce après quelques secondes suffit-il à intégrer une in·formation ? Dit autrement, une in·formation vue est-elle reçue pour autant ? La conversation offrait – et peut encore offrir – des silences éloquents, qui ouvrent parfois à la confidence ou mieux encore permettent d’habiter le vide. Le silence, dans un monde régi par la connexion incessante, relève désormais de la panne.

« Réussir à établir une communication avec les soignant·es formé·es et sensibilisé·es à la problématique du Syndrome Douloureux Régional Complexe de Budapest (SDRC), c’est déjà commencer à se connecter à iel. C’est la première étape pour se réapproprier un corps qui, trop longtemps, nous a semblé étranger ou défaillant. Sans acteur·es de la santé formé·es, il devient impossible d’accorder pleinement sa confiance. Réapprendre à écouter, à se sentir en sécurité auprès des soignant·es qui nous entourent, c’est aussi la meilleure façon de réapprendre à écouter et à habiter son propre corps. » Camille Bourgault

Le face-à-face essentiel, visage-à-visage, en présence de deux présences (Levinas, 1972 ; Murray & Spicher, 2023), peut-il subsister sans espace commun, sans lieu réellement partagé ? La simple connexion de deux temporalités – fussent-elles séparées par des fuseaux horaires – suffit-elle à faire émerger une présence vivante, incarnée, dans une relation désormais élargie à quatre voix, puisqu’à nos dialogues humains s’ajoutent désormais, en complémentarité, des outils artificiels (Ferry, 2025) ? L’assitant·e à l’apprentissage que pourrait être l’IA génératrice (GenAI ) reste toutefois relativement peu utilisée (42% - n=72) pour l’enseignement académique au Canada (Ng et al., 2025). Dans l’enseignement supérieur en Suisse (n=266 étudiant·es), l’assitant·e à l’apprentissage se limite aux tâches cognitives simples, par exemple, pour obtenir des explications sur des concepts mal compris. Les activités métacognitives, qui relèvent de l’apprentissage à apprendre, sont, elles, encore peu explorées (Spirgi & Seufert, 2025).

10 livres, soit 10'000 exemplaires, 1560 médecins, thérapeutes et chirugien·nes formé·es et seulement 144 expert·es : y aurait-il une erreur ? Non. Il s’agit d’agrandir la réalité au Réel, tout comme l’inespoir peut se glisser entre le désespoir et l’espoir.

A cet égard, notre Autre livre consacré au mode de penser la complexité (Spicher et al., 2025) est « à la fois un outil précieux, mais aussi un symbole d’espoir et un immense vecteur de visibilité pouvant faire renaître l’espoir chez les personnes souffrantes, incomprises de leurs proches et du corps médical. » (Bourgault, 2025)

 

 

Summary

On July 1st, 2004, the Somatosensory Pain Rehabilitation Centre was founded in Freiburg, Switzerland. Twenty-one years later, this once-unimaginable journey has become a significant international reference point in the treatment of complex pain syndromes. While measurable data—such as 4,362 patients treated, 7,127 Aβ axonal lesions identified and 1,560 professionals trained across five continents—speak to the method’s effectiveness, the heart of this story lies in its radical rethinking of pain, presence and care.

The method of Somatosensory Pain Rehabilitation (SPR ) refuses to reduce lived experiences to mere statistics. The founders advocate for an enlarged reality—what they call the “Real” (Singer, 2005): a fluid and evolving space where potential, vision and embodied presence intersect. This way of thinking questions traditional medical paradigms, choosing orthodoxy over paradoxy and excellence over validation.

In 2025, SPR is no longer a local curiosity, but a globally recognized method supported by Level 2b research evidence and taught at prestigious institutions such as McGill University and Université de Montréal. Yet many certified practitioners choose discretion over visibility, resisting the demands of corporate branding and superficial metrics of expertise.

The article explores how technological tools reshape therapeutic relationships. Can face-to-face encounters still exist without a shared physical space? Does digital connection suffice to sustain a living presence? Inspired by Levinas, the authors question whether artificial tools (Ferry, 2025) can fully support the complex and intimate process of healing.

Ultimately, this reflection is less about commemorating achievements than reaffirming a way of thinking that centres the human being in their wholeness. In a world overwhelmed by noise and urgency, the method of SPR reclaims silence, time and the courage to think differently.

 

Remerciements

Comme à l’accoutumée, cet article n’aurait jamais vu le jour sans d’innombrables relecteur·es relecteur·ices membres de notre communauté de pratique, assitant·e à l’apprentissage, citoyen·nes. Leur redoutable tâche consiste à garantir une cohésion de l’ensemble, ainsi qu’à chasser les erreurs de syntaxe et d’orthographe. Nous les remercions de tout coeur pour leur contribution inestimable.

 

Références

  • Bourgault, C. (2025). Connaissance et reconnaissance. Somatosens Pain Rehab, 22(2), 56 – 58. Téléchargeable (28/07/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/de-la-connaissance-la-reconnaissance

  • Cyrulnik, B. (2016). Ivres paradis, bonheurs héroïques. Paris : Odile Jacob.

  • Ferry, L. (2025). IA : Grand remplacement ou complémentarité ? Paris : éditions de l'Observatoire.

  • Le Breton, D. (2024). La Fin de la conversation ? La parole dans une société spectrale. Paris : Métailié.

  • Levinas, E. (1972). Humanisme de l’autre homme. Montpellier : Fata Morgana.

  • Murray, E. & Spicher, C. (2023). Envisager pour ne pas dévisager, comme une ritournelle. Somatosens Pain Rehab, 20(3), 78-84. Téléchargeable (28/07/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/envisager-pour-ne-pas-dvisagercomme-une-ritournelle

  • Ng, D.T.K., Chan, E.K.C. & Lo, C.K. (June 2025). Opportunities, challenges and school strategies for integrating generative AI in education. Computers and Education: Artiϧcial Intelligence, 8 (100373), e1-e12.

  • Singer, C. (1996). Du bon usage des crises (Coll. Espace libre). Paris : Albin Michel.

  • Singer, C. (2005). N’oublie pas les chevaux écumants du passé (Coll. Espace libre). Paris : Albin Michel.

  • Spicher, C., Murray, E., Chapdelaine, S. & de Andrade Melo Knaut, S. (2025). Méthode de rééducation sensitive de la douleur : un nouveau mode de penser la complexité bio-psycho-sociale (1e édition) – Préface : Pierre Sprumont. Montpellier, Paris : Sauramps Médical, 396 pages.

  • Spirgi, L. & Seufert, S. (2025). GenAI as a Learning Assistant, an Empirical Study in

  • Higher Education. Proceedings of the 17th International Conference on Computer Supported Education, 2, 27-34.


[1] Centre de rééducation sensitive du corps humain, Clinique Générale, rue-Hans-Geiler 6, CH-Fribourg reeducation.sensitive@cliniquegenerale.ch

[2] Soignée par la méthode de RSD, a débuté, encore enfant, un premier Syndrome Douloureux Régional Complexe de Budapest (SDRC) couplé à une allodynie, suite à une entorse du pied.

[3] Ergothérapeute, RSDC® de la 1e volée en 2010, historienne du RRSD (2015 – à ce jour).

Précédent
Précédent

Ecouter le silence du souffle

Suivant
Suivant

Static mechanical allodynia (sma)