Le Reflet d’un Espoir

Estelle MURRAY

Je vous encourage vivement à découvrir la prose poétique de Romain Denoël, toute d’encre violette et d’espace vide. Violette, couleur de police combinant harmonieusement avec les délicates illustrations en dégradés pastel de Marie Monnerat ; violette comme l’odeur de son amour impossible. Son écriture n’est pas d’un bloc, elle évolue au fur et à mesure que son personnage principal Abel grandit et développe sa sensibilité, au fil d’épreuves initiatrices. Une écriture subtile et originale qui mûrit et se transforme tout au long du livre, nous invitant à la réflexion existentielle depuis l’émotion : « Abel comprenait. Il réfléchissait pour la première fois et vivait l’émotion en métaphore de sa propre existence. » (p.39).

Ce jeune auteur, fils de Géraldine Denoël, -oui notre chère Géraldine-, dédie son livre à ses parents et aux personnes qui vivent avec la sclérose en plaques. Saisissant. Le lierre étreignant avec vigueur le corps empêché de sa mère vient rompre la naïveté nonchalante de l’enfance d’Abel. Ce début de vie insouciance passée dans sa modeste masure, à l’orée de la forêt, entouré de son ami Eyden, sera de courte durée. Sa quête, son obsession se centrera rapidement sur le moyen de soulager et guérir sa mère. Il semblerait que l’antidote se cache loin, dans une bibliothèque tout en haut d’une montagne.

Adolescent, il s’éloigne et s’arrache de la présence maternelle rassurante, quitte la terre pour embarquer sur un navire : « Le corps n’est qu’un symbole. L’esprit d’Abel se promenait ailleurs. Il pensait certainement à toute cette brume qui envahissait les vagues comme un serpent de verdure qui se baladait dans ses souvenirs et qui enserrait le corps de sa mère, emprisonnant son corps, pas sa volonté. » (p.31)

Le voilà lâché dans la dure réalité de l’amère mer, escomptant trouver des réponses à la condition de sa mère, de possibles traitements. Les sens d’Abel s’aiguisent. Le bateau dérive, craque et le souvenir de la misère de sa mère frappe : « Le parfum de sa mère, l’odeur de sa détresse, comme celle de l’oiseau. » (p.40)

Le jeune homme, perdu dans ses contemplations, se souvient. La solitude lui tient compagnie. Rien ne remplace sa mère, protectrice, aimante, affichant un sourire en toutes circonstances. Dans ses rêves, il l’appelle, lui intime un jour le capitaine du navire. Abel s’ouvre alors et raconte son enfance à cet homme, qui le réchauffe sous ses bras ailés. Avec lui, il n’a pas honte d’évoquer l’histoire monstrueuse de la plante, « celle qui avait ruiné sa vie. Leur vie. Qui l’avait poussé à partir. » (p.50)

Plus qu’un désir de la soigner, il s’agit d’une nécessité. Son mentor lui offre sa présence réconfortante « qui remplaçait pour un temps celle de sa mère. » (p.51), une écoute dont il avait besoin depuis le début de l’expédition. Puis, l’amour de la première femme autre que sa mère l’attrape : « Accolés. Ils se touchaient du bout des yeux, se voyaient par le bout de leurs doigts… Une synesthésie propre à l’amour opérait. » (pp. 53-54)

De courts moments d’espoir ponctuent son errance : « coquille vide, privée de ce qui la rendait vivante » (p.60), il se remémore les mots tranchants des vieux magiciens : « ils ne pouvaient que ralentir la progression de la plante, pas l’éradiquer » (idem). Son enthousiasme des premiers temps flanche, il en vient à douter de sa folle entreprise. Or, dans la noirceur du ciel, se détache une tache blanche, un albatros en y regardant de plus près. Il nous fixe aussi, d’ailleurs.

Depuis son départ, il ne l’avait quitté. Noble et bel oiseau, maladroit et vulnérable, englué sur les planches. Abel le prend dans ses bras, puis libère la poésie qui désormais fera partie intégrante de son être ; la poésie, fidèle compagne, patrie de sa mère : « Il le prit alors dans ses bras. Il n’eut ni peur de son bec ni de ses ailes puissantes. Il le lança dans une obscurité à peine brisée par les quelques flammes vacillantes qui l’entouraient. » (p.65)

L’albatros : illustration p. 64 de Marie Monnerat.

La vie rude sur la mer déchaînée touche à sa fin, c’est le moment des adieux : « Nous nous éloignâmes lentement. Avec un pincement au cœur. Cet homme m’avait aidé comme personne n’aurait pu le faire. » (p.74)

Pieds à terre. Les sens en éveil, pénétrés par la musique qu’exhale la ville puante, Abel danse, chante et se laisse bercer au milieu d’« une foule arc-en-ciel. » (p.80).

Il prépare scrupuleusement son ascension avec un guide, son nouvel ami : « Il y avait dans cette marche un je-ne-sais-quoi de liberté. De souffrance aussi. Peut-être l’un ne va-t-il pas sans l’autre. » (p.86). Cette fois-ci, les voilà « seuls, au milieu d’une mer de neige. » (idem).

L’oiseau ne se montre pas, mais l’immensité, la force, la beauté et la rigueur de la montagne parlent de lui. Le froid mord la peau d’Abel, la « dame blanche » (p.90) laisse entrevoir les antres de la glaciale mort. Le silence (p. 94) est seul sur la vaste page blanche. Transi, Abel entre dans le château gardé. Il entre dans la salle haute du savoir, avec circonspection. Fou de rage, il s’aperçoit que le livre choisi sur l’étagère est vide. Rien que du blanc, du silence, encore de l’abandon, toujours de l’impuissance : « pas d’encre, aucun renseignement, aucune aide, pas de traitement. » (p.104). L’écume à la bouche, l’acidité aux tripes, « totalement désincarné » (p.106), autre, Abel frôle la folie.

Affaibli, Abel redescend avec son ange gardien. Le capitaine l’avait suivi au sommet, appréhendant ce moment-là. Il le sort du gouffre pour le ramener vers les eaux, l’origine. Or, soudain, le temps se fige, son fragile protecteur se meurt. La chaleur quitte l’écorce de sa douce force paternelle. La vie traverse Abel, sa peau infuse la grande acceptation : « Le vent battait les voiles. Le soleil brûlait le pont, et ce goût âpre de joie revenait en moi. Le bateau s’élançait en direction de mon chez-moi et nul n’aurait pu m’empêcher d’avancer. Les frissons de la vie me grattaient la peau. » (p.113)

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