De la connaissance à la reconnaissance
Camille BOURGAULT
Au sujet de : Spicher, C., Murray, E., Chapdelaine, S. & de Andrade Melo Knaut, S. (21 janvier 2025). Méthode de rééducation sensitive de la douleur : un nouveau mode de penser la complexité bio-psycho-sociale (1e édition) – Préface : Pierre Sprumont. Montpellier, Paris : Sauramps Médical, 396 pages.
Depuis plus de 12 ans maintenant, je souffre de douleurs que le corps médical m’a plus ou moins expliquées. Cependant, depuis maintenant presque un an, c’est grâce à l’aide des connaissances apportées par le travail de Claude et Florine, mes thérapeutes, que je comprends mieux comment les douleurs fonctionnent chez moi, que je suis donc par conséquent à même d’expliquer autour de moi ce que je vis ; de telles douleurs inexpliquées subies pendants des mois, des années rendraient comme fou n’importe qui. Comment appréhender des douleurs au quotidien alors qu’on ne les comprend pas ? Que le monde autour et même le corps médical — avec le biais d’autorité qu’il exerce sur nous — essaye de nous persuader que tout va bien ? Tout ce parcours est complexe et cet ouvrage aborde tous les aspects de la vie, du travail à la philosophie de vie en passant par la famille et les proches alors impactés par ces douleurs.
Toutes les étapes de cette méthode de rééducation sont décrites dans ce livre, décortiquées, expliquées et justifiées. Même si certains chapitres sont plutôt complexes et s’adressent plus facilement aux médecins et thérapeutes, je pense qu’il est tout autant utile aux patient·es, comme moi, mais aussi aux proches de ces patient·es.
Petit exercice pratique. Vous vous cognez un orteil contre un coin de meuble. Situation banale. Très douloureuse. Cette douleur, très vive, occupe absolument toute la place dans votre esprit le temps de ces quelques secondes, le temps qu’elle passe. Un peu de colère aussi contre ce coin de table que vous tenez pour responsable. Puis cette douleur passe et votre journée continue normalement. Vous oubliez.
Maintenant, même situation. Mais, a priori, sans raison, la douleur provoquée par ce meuble ressemble à un coup de marteau qui vous broie les orteils pendant des dizaines de minutes, voire même des heures ou des jours, sans rien sur quoi rejeter la colère puisque en fait il n’y a même pas besoin de ce coin de meuble pour souffrir. Incompréhensible, n’est ce pas ? La colère se tourne alors vers votre propre corps et vous rejetez ce membre de toute vos forces puisqu’il nuit au système qu’est votre personne.
Ces douleurs prennent tellement de place, qu’elles nous effacent, nous remplacent petit à petit. Toute notre vie ne peut plus que tourner autour de ces douleurs. La prévision de chaque sortie à l’extérieur, chaque visite, chaque petit changement de météo, chaque douche, chaque changement de vêtement, chaque position. C’est ça le quotidien avec un Syndrome Douloureux Régional Complexe (SDRC) couplé à une allodynie.
S’entendre dire que ces douleurs ne sont que dans nos têtes est quelque chose d’une extrême violence. Alors on commence à avoir honte de faire vivre ça à nos proches et on n’en parle plus, on les renferme. De toute façon, qui pourrait nous aider ? On applique alors nous-même ce concept de la Pensée simplifiante et mutilante (p 38) — terme que j’apprécie tout particulièrement — pour résumer notre situation par un simple : « J’ai mal, mais ça va » alors que Toute douleur est souffrance. (p 79).
Cependant, pour traiter ces douleurs, il faut pouvoir en parler. Et c’est une épreuve de devoir réouvrir la porte à cette douleur, de devoir l’accueillir à nouveau et l’accepter pour la ressentir, la décrire, puis la comprendre. Cela demande une énergie et une force d’esprit conséquentes. Il est d’ailleurs nécessaire d’apporter la confiance entre le/la patient·e et le/la thérapeute pour permettre à la personne souffrante de pouvoir expliquer, afin de commencer un travail de rééducation. C’est exactement ce qui est décrit dans la section Accueillir avec attention (p 72).
Cette confiance passe par l’écoute du/de la patient·e, en tant que personne avec un vécu, des émotions et un ressenti sur son propre corps. Son propre paradigme (p 19).
En suivant le traitement minutieusement, étape par étape, on se rend bien compte qu’on retrouve certaines capacités qu’on pensait perdues à jamais, les douleurs comme les doutes diminuent. Les résultats sont là ; pour des centaines et des milliers de patient·es. Il aura fallu près de 400 pages pour décrire, analyser, expliquer, débattre sur l’ensemble de la complexité de ces symptômes, mais aussi comment les traiter au mieux, pour chaque situation et chaque patient·e avec une histoire unique.
Ce livre devient alors la re-présentation physique, matérielle et visuelle de nos douleurs invisibles. Elles existent. Elles ne sont plus réfutables par le corps médical souvent sceptique, ne prenant pas au sérieux une enfant de 10 ans[1], mais aussi une jeune adulte de 20 ans lorsque celle-ci dit souffrir.
Cet ouvrage est alors à la fois un outil précieux, mais aussi un symbole d’espoir et un immense vecteur de visibilité pouvant faire renaître l’espoir chez les personnes souffrantes, incomprises de leurs proches et du corps médical.
[1] J’ai débuté un premier SDRC couplé à une allodynie, enfant, suite à une entorse de la cheville au ski.