Épilogue: il y a exactement 7 ans
Alice Authier Girard, ex-soignée
Photo© Alain Wicht
Il y a exactement 7 ans, je me cassais la malléole latérale du péroné droit lors d’un cours de sport au cycle d’orientation. Ce genre de mésaventure aurait pu faire l’objet d’une anecdote amusante autour d’un repas, mais malheureusement, la mienne ne fut pas le cas. Les évènements que je vais vous raconter ont commencé au mois de février 2018 et ont grandement changé les années qui suivirent. Conférence publique le 3 février 2025 à la Clinique Générale (Fribourg, Suisse) : Douleurs inexpliquées : mythe ou altérité ?
Lors d’une après-midi, dans un cours de sport à l’école, je fis une mauvaise chute. Je sentis un craquement au niveau de mon pied, puis une douleur immense. Une simple entorse. Voilà le diagnostic de mon professeur ce jour-là. Étant rassurée, je suis rentrée à pied, me disant que la douleur finira bien par s’estomper.
Mon retour à la maison fut bref, car à peine rentrée, j’étais déjà repartie au bras de ma maman pour les urgences. Cette soirée fut interminable : des heures d’attente aux urgences, avec de nombreux diagnostics qui se contredisent tous. Puis, vers le petit matin, on nous annonça que la malléole latérale du péroné droit était cassée et qu’il fallait opérer, la fracture étant trop importante pour se réparer d’elle-même.
La nuit qui précède l’opération, mon pied avait été plâtré pour éviter certains mouvements durant la nuit qui auraient pu aggraver mon cas. Malheureusement, ce dernier causa une trop forte compression sur ma cheville, me donnant de grosses douleurs en plus d’un gonflement anormal.
Le lendemain matin, je fus opérée et une vis fut posée afin de lier les deux parties fracturées. Les médecins posèrent un plâtre qu’ils laissèrent ouvert par une fente pour me permettre de régler le diamètre selon le gonflement de ma cheville.
Après six semaines, il m’a été possible de l’enlever, de recommencer à marcher et de commencer des séances de physiothérapie. C’est exactement à ce moment que j’ai compris que ma convalescence allait être plus compliquée que prévu. J’étais en incapacité de marcher. D’abord, car j’avais perdu bien trop de muscles dans ma jambe opérée, mais surtout parce que je ne la sentais plus.
Il est difficile de décrire ce que je ressentais à ce moment précis. Tout d’abord, je ne sentais plus le dessus de mon pied. Ce dernier était anormalement gonflé et virait vers un bleu lilas la plupart du temps. Au fil des semaines, puis des mois, cette insensibilité s'est transformée en hypersensibilité. Je ressentais chaque mouvement, chaque toucher, chaque courant d’air de manière exponentielle. Ces sensations étaient similaires à des décharges électriques, des coups de lames aiguisées qui s’enfonçaient dans ma chair, des sensations de brûlures ou encore une rigidité anormale me bloquant dans tout mouvement. Le sommeil m’était impossible tant le contact de mon pied avec les draps me faisait souffrir. Autrement dit, chaque jour, chaque nuit était un enfer.
Mon état a empiré lorsque ces sensations sont remontées le long de ma jambe, jusqu’au genou. Cependant, le côté physique n’était pas le plus difficile. Ces douleurs-là étaient invisibles, et il était donc quasiment impossible, pour mes proches, de comprendre ce que j’avais, ce que je ressentais. J’avais le sentiment d’être seule et de ne pas pouvoir me sortir de ce problème. Je ne pouvais plus vivre ma vie comme je l’entendais, car elle était rythmée par ces douleurs constantes. Au bout d’un certain temps, je m’étais faite à l’idée que cela resterait ainsi pour toujours.
J’ai eu, malgré toutes ces complications, une chance unique : celle d’avoir eu le bon médecin de famille. Après avoir constaté que la physiothérapie aggravait mon cas, elle nous a dirigés vers l’ergothérapie. Dès le lendemain, ma mère appela le premier nom qu’elle vit sur la liste : celui de Claude Spicher. N’ayant aucune idée de ce qu’était l’ergothérapie, je me suis lancée sans trop d’espoir dans une première consultation.
Alors, je ne dormais plus, je marchais en boitant, ne pratiquais plus aucun sport ni activité, ne serait-ce que légèrement physique. J’étais recroquevillée sur moi-même et avec moi, une douleur invisible que personne ne comprenait.
À la fin de la première séance, ce fut la première fois que je respirai en deux ans. La première fois que quelqu’un mettait des mots sur ce que j’avais : l’allodynie. Je découvris en même temps sa cause : l’endommagement d’un nerf de mon pied lors de la chute, de l’opération ou de la compression du plâtre sur ma jambe ? Mystère.
Après des mois de traitements avec une double thérapie, sensitive et psychologique, j’ai enfin pu marcher normalement, courir, dormir. Beaucoup de choses auxquelles j’avais renoncé. Aujourd’hui, je peux faire tout ce qui me plaît. Il m’arrive parfois de ressentir quelques gênes sur le dessus du pied, mais elles s’atténuent avec les années et ne sont plus douloureuses.
Articles de et sur sur l’autrice
Girard, A (2021) Painful atmosphere Nb 10 Ecoline painting on a canson paper. Somatosens Pain Rehab 18(1), 22 (one page). Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/ecoline-painting-on-a-canson-paper-1
Girard, A (2021) Atmosphère douloureuse No 11 La vie redevient possible. Somatosens Pain Rehab 18(2), 54 (une page). Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/la-vie-redevient-possible-1
Spicher, C.J. & Etiévant, F. (2021) No Comment Nb 40. Somatosens Pain Rehab 18(2), 55 (one page). Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/No-Comment-Nb-40
Girard, A., Murray, E., Bernardon, L. & Létourneau, É. (2021) Ébauche de synthèse Co-thérapie avec, tour à tour, trois co-équipières : avantages et inconvénients. Somatosens Pain Rehab, 18(3), 83-91. Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/co-thérapie-trois-co-équipières
Girard, A (2021) éditorialiste invitée La vie ce n’est pas si mal finallement. Somatosens Pain Rehab 18(4), 99-102. Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/la-vie-nest-pas-si-mal-finalement
émission radio
de Andrade Melo Knaut, S., Autier Girard, A. & Sarary, Th. (04/02/2025). A l’ombre du baobab. RadioFribourg. Téléchargeable (18/02/2025) : https://www.neuropain.ch/fr/recherche / audio