Réouvrir la porte du silence
CAMILLE BOURGAULT
Écrire sur le silence est un exercice étrange et presque contradictoire. Par définition, le silence n’a pas de mots; il est ce qui se glisse entre eux, ce que l’on n’entend pas ou ce que l’on n’arrive pas encore à dire. Dans la mala-die, par manque de connaissance et de reconnaissance, la stratégie mise en place a été pour ma part le silence. De toute façon, les adultes ne comprenaient pas, ne cherchaient pas et régnait alors un climat de malaise. Le silence de la patiente souffrante devient un silence de protection autant que de résignation, face à des interlo-cuteurs qui n’ont pas toujours les outils pour accueillir ce qui déborde des cadres habituels.
Le silence est un concept paradoxalement parlant. Il est difficile à verbaliser, justement parce qu’il se tient dans les marges, dans ce qui échappe. Avant même d’essayer de mettre des mots sur lui, encore faut-il être consciente du silence qui nous habite. Il peut être lourd, défensif, protecteur, ou simplement le signe que quelque chose en nous n’a pas encore trouvé sa forme.
Ce silence a longtemps été le mien. Il m’a fallu des mois avant de pouvoir évoquer explicitement mes douleurs. Et des mois encore avant de pouvoir répondre au Questionnaire de la Douleur Saint-Antoine. Ce questionnaire demande de réouvrir un bruit interne que l’on a appris à retenir pour tenir. Parler de ses douleurs, c’est faire revenir à la surface ce tumulte que la douleur chronique impose: un bruit omniprésent, envahissant, qui finit par devenir un arrière-plan permanent. Tant qu’il occupe tout l’espace, le silence ne peut pas exister: il est étouffé par ce vacarme invisible, mais incessant.
Il dit aussi la prudence, la peur de raviver la douleur en la nommant, la nécessité de temps pour apprivoiser ce qui se passe dans le corps.
Et pourtant, le silence de la patiente est souvent très parlant. Il dit la sidération, l’épuisement, la difficulté à mettre des mots sur l’indicible. Il dit aussi la pudeur, la peur de ne pas être comprise, le temps nécessaire pour apprivoiser ce qui se passe dans le corps.
Lorsque le traitement avance, un autre silence apparaît: celui qui revient lentement, presque timidement, quand la douleur se retire un peu. Ce silence-là n’est plus un refuge, mais un espace. Un espace pour respirer, pour observer, pour laisser remonter des sensations plus fines, plus nuancées.
Il m’a fallu apprendre à apprivoiser ce silence nouveau. À accepter qu’il ne soit pas inquiétant ni vide, mais habité. Habité de ce que je redeviens quand la douleur cesse de saturer tout. Habité de ma voix, qui revient. Habité de mots plus justes, qui arrivent ensuite.
Le silence habité est peut-être l’un des signes les plus discrets, mais les plus profonds du rétablissement. Il montre que le bruit de la douleur n’est plus maître de tout, que l’espace intérieur peut se réouvrir. Il indique que la patiente retrouve une présence à elle-même, un territoire moins hostile où la parole peut se poser. Un silence qui n’est plus une absence, mais un retour.
De la même artiste:
· Bourgault, C. (2025). De la connaissance à la reconnaissance. Somatosens Pain Rehab, 22(2), 56-58. Téléchargeable (18/11/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/de-la-connaissance-la-reconnaissance
· Spicher, C., Bourgault, C. & Macchi, M. (2025). Le Centre de rééducation sensitive du corps humain a 21 ans Communication : entre conversation et connexion. Somatosens Pain Rehab, 22(3), 88-93. Téléchargeable (18/11/2025) : https://www.somatosenspainrehab.com/articles/g5y6fnxb3dwhagssjiy4d3schw4h1n